Entretien avec Barbara Pompili, députée de la Somme, co-présidente du groupe Europe Écologie Les Verts (EELV) à l'Assemblée Nationale.
Réalisé par Ludovic Fresse (Rue de la Mémoire) en février 2015.
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C’est un changement de pédagogie qui
est tout d’abord nécessaire, afin de redonner sens aux
apprentissages. Faisons des élèves des acteurs à part entière de
leurs parcours mais aussi de la vie de leur établissement,
renforçons le travail collaboratif et interdisciplinaire,
développons les projets collectifs, permettons que la créativité
des élèves et leur liberté d’expression puisse s’exprimer,
mettons fin à une évaluation stigmatisante et décourageante. Des
initiatives existent déjà à l’échelle d’une classe ou d’un
établissement et ont montré qu’elles fonctionnent. Tirons les
enseignements de ces expérimentations et trouvons les moyens
d’encourager leur développement.
C’est aussi une approche différente
qui est requise quant à la place de l’école dans la cité.
Sachons ouvrir les portes des établissements pour co-construire les
politiques éducatives de demain. Avec les parents d’élèves, mais
aussi les associations locales, les collectivités, le milieu
médico-social… C’est lorsque l’ensemble des acteurs concernés
se met autour d’une même table que l’on parvient à mettre en
place les meilleurs projets, au bénéfice premier des jeunes. Cette
démarche est celle que l’on a voulu mettre en place avec la
généralisation des Projets éducatifs de territoire dans le cadre
de la réforme des rythmes. La concertation donc. L’ouverture de
l’école sur son milieu. Mais aussi un décloisonnement entre temps
scolaire/périscolaire.
Bien sûr, il faut aussi agir pour que
la mixité sociale au sein des établissements redevienne réalité.
Pour être effective, la transmission des valeurs républicaines doit
être accompagnée d’une réelle lutte contre les inégalités, qui
passe aussi par un travail sur la carte scolaire. C’est la clé
d’une grande partie des défis à relever. La décision du
gouvernement de s’attaquer à la question de la sectorisation des
collèges est une très bonne nouvelle. Mais il faut aller plus
loin : remettre réellement à plat la carte scolaire et
cibler plus et mieux financièrement les établissements en sortant
de la stigmatisation des labels. Des systèmes intéressants existent
à l’étranger. S’en inspirer permettrait enfin de sortir de la
concurrence entre établissements et des classements malheureusement
très à la mode alors qu’ils contribuent à la ghettoïsation de
certains territoires !
Enfin, je souhaite insister sur un
point essentiel pour impulser un tel changement : la formation
des enseignants. Pour que se déploie cette nouvelle approche de
l’éducation avec les pédagogies qui vont avec, la formation
continue et initiale est un enjeu. Car, oui, il s’agit bien
d’apprendre à apprendre, à transmettre le plaisir d’apprendre
ou à appréhender nombre de sujets sensibles (comme la laïcité par
exemple).
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Rue de la Mémoire : La question de l'éducation à la
citoyenneté est aujourd'hui au cœur du débat politique. Selon
vous, comment le système éducatif français doit-il évoluer pour
assurer cette mission en prenant en compte la diversité des publics
et des territoires ?
Barbara Pompili : On ne peut pas imposer à un élève de
se sentir citoyen ou de se reconnaître dans nos valeurs
républicaines et démocratiques ; c’est quelque chose qu’il
faut « ressentir ». Et c’est justement parce que le
sentiment d’appartenance à un collectif ne se décrète pas que le
système éducatif a un rôle à jouer pour permettre à chacun de
trouver sa place dans notre société. L’école doit contribuer à
bâtir ce « vivre ensemble », en ne laissant personne sur
le bord du chemin et en donnant à chaque élève les clés lui
permettant d’exercer pleinement sa citoyenneté et d’affronter
les enjeux du XXIe siècle. Il ne s’agit pas seulement
d’apprendre à lire, écrire ou compter mais d’acquérir les
capacités d’appréhender les enjeux de chaque époque avec le
jugement critique nécessaire.
Or, aujourd’hui, notre système
scolaire ne parvient plus à répondre pleinement à cette mission.
Alors que 140 000 jeunes «-décrochent-» et se
retrouvent chaque année sans diplôme, notre système scolaire est
tristement célèbre comme étant l’un des plus inégalitaires,
celui où les déterminismes sociaux jouent le plus dans l’obtention
d’un diplôme. Pire encore, l’école renforce et aggrave les
inégalités sociales. Ce constat effarant nécessite de
profondes réactions pour que l’école de la République soit à
nouveau synonyme de promesse et serve de ciment au «-vivre
ensemble-».
La loi sur la refondation de l’école
votée en juillet 2013 répond pour partie à cette ambition. Mais,
comme je l’ai alors répété à maintes reprises, nous considérons
avec mes collègues écologistes qu’il faut aller encore plus loin
afin de bousculer les habitudes et de proposer de nouvelles
perspectives.
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Les créations de postes et celle des Écoles supérieures
du professorat et de l’éducation (Espé) sont un pré-requis qui
nécessitent aujourd’hui d’être prolongés : en
réorganisant les deux années passées en Espé pour qu’elles
soient réellement consacrées à la formation (et non au bachotage
pour la préparation d’un concours), en accompagnant les futurs
enseignants dans l’appropriation des nouvelles pédagogies, en
privilégiant le goût d’apprendre… Mais il faut aussi que nos
enseignants reflètent mieux la diversité de notre société. D’où
l’importance de remettre à l’ordre du jour l’instauration d’un
pré-recrutement digne de ce nom, pour permettre à celles et ceux
issus de milieux défavorisés de devenir professeurs. Rue de la Mémoire : Le temps politique est souvent celui de
l'actualité, voire de l'urgence, mais certaines questions, notamment
dans le domaine de l'écologie, nécessitent de s'inscrire dans le
long terme. Comment l'écologie politique peut-elle résoudre cette
contradiction ?Barbara Pompili : Sortir de l’immédiateté et inscrire
l’action politique dans le long terme, c’est là justement un des
points pour lesquels se battent les écologistes.
Cet enjeu est d’ailleurs à l’origine
de mon engagement en politique. J’ai grandi dans le Nord de la
France et j’ai pu voir combien l’absence d’anticipation des
pouvoirs publics avait conduit à la détresse nombre de citoyens
alors que cela aurait pu être évité. La fermeture des mines
n’était pas une surprise. On connaissait l’importance de ce
gisement d’emplois pour la région. Mais, plutôt que de travailler
à la reconversion économique de la région, les politiques d’alors
ont privilégié les pansements de court terme, repoussant au
lendemain l’inéluctable.
L’écologie politique, c’est
justement l’inverse. C’est prendre en compte dès aujourd’hui,
dans nos politiques publiques, les besoins de demain. C’est
anticiper pour éviter les crises annoncées en cas d’immobilisme
politique. Si les politiques actuelles ne changent pas, on sait que
certaines crises seront inéluctables. Un exemple, celui du
dérèglement climatique. Si on ne modifie pas nos modes de vie pour
enrayer le processus en cours, il faut alors s’attendre à devoir
affronter plus de catastrophes naturelles mais aussi de graves
conséquences pour notre agriculture, notre économie, la
biodiversité et, de façon générale, notre qualité de vie. Pour
éviter cette réalité en devenir, on peut dès à présent agir sur
un panel de politiques publiques, permettant par là-même de
construire un autre projet de société.
SUITE DE L'ENTRETIEN
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